Des migrants comoriens parlent de leur effroyable traversée
L’immigration clandestine existe aussi à la Réunion. Nous vous proposons en trois parties le récit du parcours de vie de quelques uns des migrants que nous accueillons et dont nous avons écouté le parcours de vie.
Qu’il s’agisse d’évacuations sanitaires, de migrations irrégulières ou d’autorisations provisoires, les migrants sont ici et nous les rencontrons souvent. Ils sont venus tenter leur chance à la Réunion. En écoutant leur histoire, nous avons souhaité, avec leur autorisation, écrire ce qu’ils nous disent : pourquoi et comment nous ont-ils rejoints sur notre petite île posée au beau milieu d’un océan gigantesque ? Identité, dates, lieux ont été modifiés afin de les protéger.
« Pour arriver à raconter tout ça, je vais commencer par mon premier départ. J’ai quitté les Comores pour atterrir à Mayotte. J’y ai passé quatre ans. Mais en 2020, j’ai décidé de partir, parce que ce qui se passe à Mayotte en ce moment, c’est "chaud"… Tu sors, tu as ton téléphone, si tu veux pas le donner, on te frappe. Tu pars avec ta voiture à 17 heures ; on caillasse ta voiture. Des gens meurent tous les jours et moi qui n’étais pas "réglo" sur le territoire, il n’y avait pas de sécurité, il n’y avait rien du tout. Je suis retourné dans mon pays natal, puis j’ai décidé de venir à La Réunion ».
« Depuis les Comores, pour aller à Madagascar ce n’était pas facile : les frontières étaient fermées à cause du Covid 19 et il fallait avoir quelqu’un qui avait une pirogue pour m’emmener. Comme j’étais déjà parti là-bas, je connaissais un peu... J’ai payé quelqu’un pour me déposer sur la côte de Mahajanga où j’ai des amis ; on est partis à Tana et de là à Nosy Be. Je savais où il fallait aller, alors je suis parti direct ».
Il est également important de rappeler que depuis plusieurs années La Réunion accueille des personnes venant des Comores via Madagascar ou du Sri Lanka depuis l’Inde.
Pour ce récit, nous avons décidé de nous concentrer sur l’immigration depuis Madagascar et les Comores ; mais les conditions de voyage depuis le Sri Lanka sont sensiblement identiques.
« J’avais sorti tout ce que j’avais comme économies, j’ai payé cher ce voyage. J’avais travaillé avant, j’avais mis de côté ; j’avais vraiment envie de venir ici. Si j’ai quitté mon pays c’est pour fuir la misère. J’ai laissé ma famille… Mais je me suis dit que je devais faire quelque-chose pour que mes enfants grandissent bien, le jour où je fonderai une famille. Je veux faire en sorte que mes enfants aient cette chance. Et depuis que je suis petit, je vois à la télé qu’il y a des migrants qui sortent pour aller en Europe… ».
Bien souvent, les personnes qui traversent n’ont que très peu d’affaires personnelles, car ils ne s’attendent pas à une longue durée du voyage (un jour, une semaine, quinze jours...), ni aux conditions dans lesquelles ils vont devoir le vivre...
« On nous a dit : « On part le matin, vers 1h ou 2h et on sera là le soir ou le lendemain ». Mais voilà, arrivés près de la côte il y avait une antenne rouge, un navire : c’étaient les gardes-côtes qui patrouillaient. On ne pouvait pas accoster. Ils ont préféré retourner en mer entre Mada et ici. On est restés à la frontière et on a fait du sur place. Le troisième jour, on a essayé, le quatrième on a essayé, et puis un bruit et le bateau a commencé à prendre eau… On a commencé à avoir faim et soif. Il y avait la peur, le désespoir, on se demandait : « Est-ce qu’on va y arriver ? ». Je n’ai pas mangé pendant 9 jours. On n’avait pas de toile pour nous protéger du soleil. Évidemment on n’était pas du tout bien. On était dix-neuf, avec trois commandants. Je les ai nommés les « Sans-cœur », parce qu’on était dix-neuf au départ et on est arrivés à neuf… ».
« Ils avaient des "kalaches" ; ce sont des personnes qui n’ont pas peur de mourir. Ils nous disaient : « Il y a du poids, il faut qu’on essaye de diminuer un peu le poids ». Toi tu es là, tu peux rien faire sinon, si tu dis quelque chose, on va te buter, toi. On jette des gens en mer pour qu’on puisse vivre. C’est ça qui s’est passé ».
« Le fait de voir des petits jeunes comme ça jetés en mer, et toi tu ne peux rien faire - tout ça m’a bouleversé. Je me suis dit, après trois personnes, là, ce sera mon tour et c’est fini, qu’est-ce que je fais ? Mais je ne peux rien faire ! Ils ont des "kalaches" et même s’ils n’en avaient pas, ils sont trois contre un. Je crois que c’est grâce à la prière, c’est ça qui m’a donné la force, chez nous on dit : « Iman » : c’est la force qui m’a fait résister, en fait ».
« Quand je suis arrivé, c’était le soir. C’est quand on a posé nos pieds. C’était loin - je ne sais pas où c’était. Ils avaient des GPS, des téléphones, ils appelaient des gens et quand on est arrivés il y avait une voiture qui était là, ils nous ont donné le téléphone. Ils ont dit : « Si tu connais quelqu’un, vous pouvez appeler ». Je ne connaissais personne à part une personne, connue lors d’un voyage chez sa mère. Je l’avais aidée un jour, et on est restés en contact via les réseaux sociaux. Cette personne m’a aidé et je lui suis reconnaissant. Sa mère a dit : « T’es fou, tu as des sœurs et tout, tu ne sais pas d’où il vient et tu l’a amené ici ». Mais ce jeune a dit : « Maman, si tu le mets dehors, je vais partir avec ». Je reconnais qu’au début, c’était compliqué, mais aujourd’hui on est comme une famille. Ils m’ont donné de l’amour et moi je fais pareil ».