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La Réunion

Témoignage : Damien, délégué pendant 4 ans à la Réunion

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Damien Roussy, délégué pendant 4 ans à la Réunion, quitte la délégation pour s'envoler vers de nouvelles aventures. Avant son départ, il a témoigné de  ce qu'il a vécu durant ces quelques années à la délégation...

Peux-tu nous dire où tu pars, pour quelle mission et ce que tu comptes y faire ?

Cela fait 4 ans que j’occupe le poste de Délégué à la Réunion. J’avais dans l’idée de rester encore un peu ; mais il y a eu cette opportunité, inattendue, de reprendre la coordination du Réseau Caritas France. Notre « maison commune » Caritas France bouge et j’ai très envie de participer à cet élan nouveau, d’une autre manière.

Je reste salarié du Secours Catholique, mais je suis détaché auprès du Réseau Caritas France. Ce réseau existe depuis longtemps. Mais il a été formalisé il y a six ans. A l’époque, j’en avais rédigé les statuts. J’en ai donc une certaine connaissance. Lorsque je dirigeais le Département Administratif et Juridique du Secours Catholique, j’ai aussi beaucoup travaillé avec la plupart de ses membres : Cités Caritas, Fondation Jean Rodhain, Caritas Alsace, Caritas Habitat, Solidarauto, etc. Il faut aujourd’hui donner un nouvel élan à ce réseau. Je vais en assurer la coordination et m’atteler à faire en sorte que ces onze associations qui se réclament des mêmes valeurs chrétiennes et d’une même finalité -lutter contre la pauvreté, consolident leur union et mutualisent davantage leurs compétences et leur inventivité, au service des plus pauvres.

J’ai le sentiment d’aller vers une « périphérie ». J’aime cette idée et celle du rayonnement. Il me semble que c’est un poste humble, un peu à l’écart ; il s’agit d’écouter, de comprendre, de transmettre, de faciliter et de susciter. Mais si l’on façonne bien, beau et bon, alors je veux croire à la force du rayonnement, d’où que l’on se trouve.

Remontons un peu en arrière. Qu’est-ce qui a motivé ta venue à La Réunion ?

J’avais très envie d’aller au plus près des plus pauvres. A la maison, nous avons grandi avec Saint-François d’Assise. C’est une chose que de lire et relire toute la littérature sur le « petit pauvre d’Assise » ; s’en est une autre que de ne pas manquer le train de la réalité ! Je travaillais depuis six ans déjà au siège du Secours Catholique ; j’observais ce que vivaient les Délégation et cela me démangeait. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je voulais mettre les mains dans les joies de la pauvreté. 

J’ai demandé à venir à la Réunion. Pourtant je n’aime ni les cocotiers, ni le soleil, et je souffre de la chaleur ; ce n’est donc pas pour ça que j’y suis allé ! Il a fallu s’acculturer ; apprendre à vivre, à penser et à communiquer différemment, dans le respect des codes de cette île qui nous accueillait. Cette gymnastique-là est bonne. On est ici à un carrefour de cultures. La Réunion est à la fois très riche et très pauvre. Elle est extra-ordinaire (au sens strict du terme). Je savais que ça allait être le grand écart. C’était une chance, pour moi, comme pour ma famille. 

Dans quel « état » as-tu trouvé la délégation de la Réunion en arrivant ?

Elle était restée presque une année sans Délégué, avec un Bureau très réduit. Le réseau bénévole avait fondu. Lorsque je suis arrivé, mon sentiment a été qu’elle sommeillait. On était certes, le plus souvent, heureux de se retrouver en équipes, mais j’ai été surpris de voir à quel point on ne touchait plus beaucoup les gens. Je me suis dit : « Mais où sont les plus pauvres et quelle est l’image du Secours Catholique ? ».  Sur un territoire où 40 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, je n’avais pas l’impression que nous allions vraiment « au Secours ! » ; car « secours » vient du latin « currere », qui veut dire « courir », n’est-ce pas ? Or je ne nous voyais pas courir beaucoup… Et je ne parle pas du peu d’inventivité de nos réponses à la pauvreté ; alors-même que la pauvreté, elle, mute sans cesse… 
 
Une autre chose m’a beaucoup surpris : le peu de spiritualité dans ce que nous faisions. Comment se faisait-il que dans une île à ce point multi-spirituelle et si libérée à ce sujet, nous en parlions si peu au sein du Secours Catholique, ne serait-ce que pour nous caler avant de nous lancer ? Tandis que les gens, ici, font preuve d’une spiritualité à fleur de peau, nous, au Secours Catholique, nous ne donnions que très peu de signification à ce que nous faisions. Impossible de communier spontanément à cette respiration propre à la Réunion. Impossible de se vérifier au regard de plus grand que nous. Je me suis dit que nous n’étions pas obligés de singer tout ce qui se faisait ailleurs. Et que lorsque nous étions attentifs aux autres, nous n’avions pas à cacher nos sourires, nos mots, nos gestes chrétiens.

Comment les choses ont elles évolué depuis? Comment penses-tu avoir fait évoluer les choses ?

Il y a d’abord eu deux années d’assainissement ; et d’observation. Certaines choses ne tournaient pas très rond dans la Délégation et je ne connaissais pas ce peuple. Il fallait prendre le temps. Nous avons pourtant très vite lancé le processus de création de notre nouveau projet de Délégation. C’était ma chance. C’est normalement un processus d’une année. Nous avons volontairement mis trois ans pour le réaliser. Tout devait avancer à l’unisson. Nous devions expérimenter ce que nous allions adopter. Pas de forme sans fond.

Très vite, trois axes ont émergé. 1) La Charité chrétienne devra à nouveau se vivre dans nos vies, à commencer par nos communautés croyantes. Nous devrons la comprendre pour mieux la pratiquer. Nous devrons aussi la rendre au monde ; l’heure est passée de la « sous-traitance charitable ». 2) Jésus, « pas une pierre où poser sa tête » ; comme Lui, au local d’équipe que nous affectionnons tant, nous chercherons à l’avenir à privilégier la margelle du puits et les repas conviviaux « chez l’habitant ». Nous devrons « aller vers » et voyager léger. 3) A la Réunion la solidarité ne s’invente pas, elle se préserve. Car à peu de choses près, tout est déjà là. Ce sera pourtant notre tâche la moins évidente, tellement est grande la fascination pour ce qui vient d’ailleurs. Ce sont ces trois piliers qui sont devenus notre projet commun.

Et puis il y a eu le Covid. On ne nous parlait plus que d’accompagnement, de « changement social local ». Nous culpabilisions à l’idée de donner, alors que donner et recevoir font encore partie intégrante de la vie des réunionnais. D’un seul coup ce derniers verrou a cédé. Avec le Bureau nous nous sommes dit : « Nous allons re-rentrer dans le don ; mais nous n’allons pas faire du distributif ; nous allons faire du don-accompagné ». Nous nous sommes équipés en mobilier, en vêtements ; on s’est inscrits à la Banque Alimentaire et nous avons dit au réseau : « Maintenant, n’ayez pas peur de partir à la rencontre des invisibles, vous avez de quoi les nourrir, les vêtir les meubler ; mais ne vous arrêtez pas à cela, car c’est d’abord votre présence fraternelle, notre compagnonnage, qu’ils recherchent ». 

Voilà. Une longue phase de préparation et d’observation ; ce Covid qui s’installe et qui ouvre à bien des possibles ; notre projet de délégation qui est validé dans la foulée.  Ce n’est qu’un début, c’est loin d’être parfait, mais c’est posé sur de bons rails. C’est semé. 

En partant, quels sont tes « vœux » pour la Délégation ? Comment espères-tu que cela va évoluer ?

Je souhaiterais que nous prenions maintenant le temps de creuser, chacun à sa manière, le sens profond de notre engagement charitable. Que nous propose Jésus quant à la manière d’aimer notre prochain ? En allant aux veillées Marthe et Marie, par exemple, ou en participant à l’Ecole de la charité, lorsqu’elle sortira de terre. Ou tout simplement en prenant régulièrement le temps de la relecture. 

Je souhaiterais aussi qu’on en finisse avec la « sous-traitance ». Nous sommes devenus des sous-traitants de la charité. Il y a le Pôle Emploi, le Département, les CCAS, l’aide public institutionnalisée. Soit. Et puis il y a nous, le Secours Catholique, qui passons nous aussi notre temps à sous-traiter ce que les autres, à commencer par nos communautés croyantes, ne veulent pas faire ; parce que les gens ne veulent pas faire l’effort de s’intéresser à ceux qui sont dans la précarité. Qu’ils aient peur, qu’ils ne se sentent pas rassurés, ou qu’ils ne pensent pas avoir le moyen de le faire. Or, c’est notre première mission que de leur donner l’envie et les moyens d’être charitables. C’est ça le « rayonnement de la charité chrétienne » (l’article 1er de nos statuts) ! Jean Rodhain a dit une phrase qui m’a foudroyé : « Il faut rendre au monde son âme de charité ». C’est notre avenir, à nous, associations caritatives. Nous avons vocation à nous diluer et c’est une bonne nouvelle ! 

Je souhaiterais également que la Délégation réussisse sa mue vers une mobilité radicale. Je souhaiterais aussi que le partenariat avec les petites associations prenne davantage de place dans notre quotidien de grosse association, car il serait bon que nous perdions cette mauvaise manie de toujours vouloir tout faire nous-mêmes. Et bien d’autres souhaits encore.

Aujourd’hui, je sens que tout cela est semé. « Autre celui qui sème ; autre celui qui moissonne ». J’ai été celui qui sème.


Il a dû y avoir beaucoup de moments forts pendant ces quatre années. Peux-tu en citer 2 ou 3 ?

Mes moments les plus forts sont tous liés à des rencontres humaines. Quand on dit que ce sont les pauvres qui nous évangélisent… Ce sont bien les personnes rencontrées qui m’ont montré le chemin. Il y a de très très belles personnes ici. 

J’ai aussi beaucoup aimé les veillées Marthe et Marie, qui ont été imaginées après que j’aie séjourné à Madagascar, en novembre 2020. De petits villages d’une pauvreté absolue, dont les habitants se retrouvent chaque mois pour un temps de prière, de chant, de partage de leurs difficultés et de réflexion sur des solutions communes. En rentrant je me suis dit : « C’est ça que nous devons faire pour creuser ce qu’est la charité chrétienne ». Et nous l’avons fait. Et nous le faisons encore. Pourtant, j’y suis parfois allé à reculons. Mais à chaque fois j’en suis revenu heureux comme un roi ! J’y ai imaginé l’atmosphère des tout premiers chrétiens. On est ensemble, à la lumière d’une bougie, on se questionne, on tâtonne. J’y ai aussi retrouvé l’esprit des fraternités franciscaines de mes parents.

Le Covid a été délirant et nerveusement galvanisant. Au premier confinement tout afflue, les pauvres appellent, les gens donnent, les hôtels ouvrent leurs portes. Ça fait tout simplement du bien de ne pas toujours tout raisonner.

J’ai apprécié tellement d’autres bons moments encore, même si je n’ai pas toujours pu les vivre comme je l’aurais souhaité. On tient les cordons de la bourse, il faut gérer la logistique, on se tape les problèmes. Le Délégué est un vrai serviteur. 

Qu’est-ce que tu vas regretter en partant ?

Je regrette de partir un tout petit peu trop tôt ; je le redis, il me manque une petite année. Et puis, c’est tout de même assez exceptionnel ici ; cette luminosité, cette chaleur à tous les niveaux, cette simplicité de vie. 

Enfin, il y a les plus fragiles… Je pressens que leur contact ne sera plus aussi direct et quotidien. Or, j’ai bien compris que c’est « quelque part par-là » que se trouve mon équilibre... 


 

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